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Nakpa Polo |
Considérée comme une autre forme de barbarie sur l’être humain, la peine de mort ou la peine capitale, est interdite par les Nations Unies, et le 10 octobre de chaque année est commémoré la Journée Internationale de lutte contre cette sentence. Ainsi dans le cadre de la commémoration de cette Journée, la 18ème du genre, le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), Mme Nakpa Polo, dans un entretien avec Gapola, revient sur l’historique de cette Journée, qui pour cette année est placée sous le thème : « Avoir accès à un avocat : une question de vie ou de mort ». D’une pierre deux coups, le Premier responsable de la CNDH, est également revenu sur la situation spécifique du Togo, par rapport à la peine de mort et les raisons qui motivent la position du pays.
Gapola : Madame le Président,
le 10 octobre 2020 le monde entier commémore la 18e journée mondiale
contre la peine de mort.
Dites-nous en quoi consiste la peine
de mort ?
Nakpa Polo : La peine de mort, ou peine
capitale, est une peine prévue
par la loi consistant à donner la mort (exécuter)
à une personne, reconnue coupable d'une infraction généralement
qualifiée de « crime », et le plus souvent ceux qui commettaient un
homicide. La sentence est prononcée par une juridiction à l'issue
d'un procès.
Au Togo avant son abolition, étaient passibles de cette peine :
-
ceux qui commettaient un homicide avec préméditation ou guet-apens ;
-
ceux qui commettaient un homicide sur leurs ascendants ;
-
ceux qui commettaient un homicide dans un but rituel ou d’anthropophagie ;
-
ceux qui commettaient un homicide pour préparer, faciliter ou consommer une
infraction contre les biens ou contre les mœurs.
La
peine de mort est une sanction réprouvée par les institutions internationales
comme l'Organisation des Nations unies (ONU).
En effet, elle est implicitement condamnée dans la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948, qui consacre le droit à la vie en son article 3 en
ces termes, je cite : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté
et à la sûreté de sa personne ».
Le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques va plus loin en
affirmant en son article 6 que « Le droit à la vie est inhérent à la
personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement
privé de sa vie ».
Toutefois,
c’est avec le deuxième protocole se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort que les
Nations Unies prennent clairement position contre la peine capitale. L’article
premier énonce en effet ce qui suit :
1. Aucune personne relevant de la juridiction d’un
État partie au présent protocole ne sera exécutée.
2. Chaque État partie prendra toutes les mesures
voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction ».
Pourquoi une journée mondiale contre la peine de mort ?
Depuis 2003, le 10 octobre a été
retenu comme Journée mondiale contre la
peine de mort par la coalition
mondiale contre la peine de mort. Cette coalition est constituée
d’un collectif international d'ONG, de barreaux d’avocats,
de collectivités locales et de syndicats dont
le but est de renforcer la dimension internationale du combat contre la peine capitale.
Pour la coalition, cette journée vise à :
-
encourager
et renforcer la dimension internationale du combat pour l’abolition auprès des
opinions publiques et des décideurs publics ;
-
faire
pression sur les États qui conservent la peine capitale pour qu’ils l’abolissent
et réclamer l’arrêt définitif des condamnations à mort et des exécutions dans
le monde ;
-
promouvoir
et élargir la Coalition mondiale contre la peine de mort pour renforcer sa
représentativité internationale ;
-
légitimer
auprès des institutions/organisations internationales et régionales
l’instauration de la Journée mondiale le 10 octobre de chaque année.
Quelles sont donc les raisons qui
militent en faveur de l’abolition de la peine capitale ?
Les
raisons pour abolir la peine de mort sont nombreuses. Entre autres raisons,
nous pouvons citer dix qui sont essentielles à savoir :
-
la
peine de mort viole le droit à la vie ;
-
la
peine de mort est une sanction cruelle et inhumaine ;
-
la
peine de mort n’a aucun effet dissuasif ;
-
la
peine de mort est un meurtre avec préméditation qui avilit l’Etat et rend la
société plus violente ;
-
la
peine de mort est discriminatoire dans son application ;
-
la
peine de mort nie la capacité de tout homme à s’amender et à devenir
meilleur ;
-
la
peine de mort ne ramène ni la stabilité sociale ni la paix intérieure des
victimes ;
-
la
peine de mort nie la faillibilité des institutions humaines ;
-
la
peine de mort est une punition collective ;
-
la
peine de mort va contre les valeurs religieuses ou humanistes communes à
l’ensemble de l’humanité.
Cette année le
thème de la journée porte sur l’accès à un avocat. Que vous inspire ce
thème ?
Effectivement,
la 18e journée mondiale contre la peine de mort a pour thème : « avoir
accès à un avocat : une question de vie ou de mort ».
Une
représentation juridique pour les personnes susceptibles d’être condamnées à
mort est très importante. Sans accès à une représentation juridique efficace
pendant l'arrestation, la détention, le procès et après le procès, le droit à
une procédure régulière ne peut être garanti.
Dans une affaire où la peine capitale est possible,
les conséquences qui peuvent découler d'un manque de représentation juridique
effective peuvent n’être rien de moins qu’une différence entre la vie et la
mort. Tous les systèmes judiciaires du monde, quelle que soit leur performance,
sont passibles d’erreurs pouvant entrainer la condamnation d’innocents. En ce
sens, la représentation juridique y trouve tout son intérêt.
Aux
niveaux national et international, le droit à un avocat en matière pénale est
un droit fondamental, garanti dans la plupart des constitutions et des grands
traités internationaux. Malheureusement, nombreux sont les systèmes judiciaires
du monde entier qui ne parviennent pas toujours à offrir une représentation
juridique adéquate aux personnes accusées d'un crime.
Dès
lors, et tout en œuvrant à l’abolition totale et la plus rapide possible de la
peine de mort, partout dans le monde, et pour tous les crimes, il est crucial
d’alerter la société civile et la communauté internationale sur la nécessité
absolue qu’à tous les stades de la procédure pénale les personnes passibles de
ce châtiment cruel, inhumain et dégradant bénéficient au moins de l'accès à une
représentation juridique efficace afin qu’elles puissent éviter cette sentence
et, dans le cas contraire, exercer les recours adéquats.
Quel est l’état des lieux dans le
monde et particulièrement en Afrique ?
Tout
compte fait, je me réjouis de constater qu’aujourd’hui, les États
abolitionnistes sont majoritaires.
En
effet, sur les 193 États membres des Nations unies :
-
103
États ont aboli la peine de mort pour tous les crimes ;
-
08
l’ont abolie pour les crimes de droit commun ;
-
et
49 respectent un moratoire sur les exécutions en droit ou en fait, soit 160
États au total.
En
revanche, la peine de mort est toujours appliquée dans 33 États à travers le
monde.
En
ce qui concerne l’Afrique :
-
vingt
(20) Etats dont le Togo sont abolitionnistes de droit ;
-
dix-sept
(17) sont abolitionnistes de fait ;
-
quinze
(15) maintiennent toujours la peine de mort ;
-
un
(01) respecte un moratoire sur les exécutions (Gambie) ;
-
et
un (01) l’a abolie pour les crimes de droit commun (Burkina-Faso).
Quelle est la situation s’agissant
spécifiquement de notre pays le Togo ?
La Constitution du 14 octobre 1992 au Togo protège
le droit à la vie. En effet, l’article 13 dispose : « L'Etat
a l'obligation de garantir l'intégrité physique et mentale, la vie et la
sécurité de toute personne vivant sur le territoire national. Nul ne peut être
arbitrairement privé ni de sa liberté ni de sa vie ».
Les anciennes
législations en matière pénale avaient prévu la peine de mort. Cependant depuis
l’avènement de la constitution de 1992, même s’il est arrivé que les
juridictions notamment les cours d’assises l’aient prononcée, elles n’étaient
pas suivie d’effets. Il faut noter qu’elle n’a été exécutée qu’une seule fois,
en 1978.
Depuis
trois décennies, le Togo qui était un abolitionniste de fait, s’est engagé dans
un processus législatif d’abolition de la peine de mort. Ce processus a conduit
à l’adoption de la loi N° 2009- 011 du 24 janvier 2009 relative à l'abolition
de la peine de mort, promulguée
le 24 juin 2009 par le Chef de l’Etat.
Cette abolition sera réaffirmée dans le
nouveau code pénal de 2015 (la loi N°2015-010 du 24 novembre 2015 portant
nouveau code pénal, elle-même modifiée par la loi N°2016-027 du 11 octobre
2016).
De
plus, le 14 septembre 2016 le Togo a adhéré au 2e protocole
facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et
politiques visant l’abolition de la peine de mort. Le Togo devient ainsi le
82ème État partie à ce traité international et le 12ème en Afrique.
Enfin,
le Togo a constitutionnalisé l’abolition de la peine de mort et de la peine à
perpétuité ou à vie depuis la réforme du 15 mai 2019. Avec cette réforme
constitutionnelle, la peine maximale au Togo est de 50 ans.
Madame le Président, votre mot de
fin ?
Permettez
que je revienne sur le caractère non dissuasif de la peine de mort. Plusieurs
études montrent en effet que les Etats non abolitionnistes sont ceux qui ont les
taux les plus élevés en matière de criminalité tandis que dans les pays qui ont interdit la peine de mort, les
chiffres relatifs à la criminalité n’ont pas augmenté.
C’est
en cela que la CNDH salue les efforts du gouvernement et de toutes les parties
prenantes ayant permis d’inscrire le Togo sur la noble liste des pays
abolitionnistes. Elle saisit cette occasion pour inviter les autres pays
d’Afrique à se joindre à ce mouvement.
La
CNDH voudrait toutefois exprimer sa préoccupation par rapport à la résurgence
d’un phénomène qui s’apparente à la peine de mort : la vindicte populaire.
La
vindicte populaire est un moyen de plus en plus utilisé par les populations
pour se défendre, s’exprimer ou encore pour juger les supposés « déviants » et
le plus souvent les malfrats. Ce phénomène est de plus en plus récurrent dans
les villes togolaises, plus précisément à Lomé.
La CNDH estime que la vindicte populaire est une violation grave des droits de
l’homme, car, nul n’a le droit de se rendre justice. Les présumés ou supposés
malfrats bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à ce que leur
culpabilité soit établie en vertu d’une décision de justice.
La vindicte populaire n’excuse en rien le crime à l’encontre
d’un délinquant quel que soit le degré de l’acte commis par celui-ci. La CNDH condamne
ces pratiques moyenâgeuses. Car, le risque que les personnes lynchées ne soient
même pas les auteurs des infractions à
elles reprochées est grand. Une personne innocente peut être à tort victime
d’un lynchage, pourvu qu’elle se retrouve fortuitement à la fois à un mauvais
moment et à un mauvais endroit.
La CNDH rappelle que toute
personne soupçonnée de commettre une infraction doit être conduite aux
autorités compétentes (police, gendarmerie ou justice) afin qu’elles statuent
sur son cas, conformément aux textes en vigueur.
Je
vous remercie !
Félicitations à Mme la présidente de la CNDH pour cette présentation qui édifie plus d'un.
RépondreSupprimerBonne fête à tous les défenseurs des droits humains.