Les défis auxquels sont confrontés les Administrations fiscales de nos jours en matière de taxation des grandes multinationales sont considérables. Ces défis sont d’autant importants quant à ce qui concerne la taxation des géants du numérique. Quelles sont ces réformes ? Quelles sont les évolutions des travaux sur ces différentes ? Quels sont les fondamentaux de la réforme et quelles peuvent être les incidences d’un probable accord sur les pays en développement. A travers cet article, Plassi Pawumotom, Inspecteur des Impôts, Spécialiste en prix de transfert et Secrétaire Adjoint chargé des Finances et de l’Administration du Réseau des Experts Africains de la Fiscalité Internationale (REAFI) nous apporte des éléments de réponses.
La
mutation profonde de l’économie mondiale a remis en cause les postulats
traditionnels des grands principes économiques. Cette mutation, entretenue
entre autre par le développement de nouvelles formes d’activités ne nécessitant
plus de présence physique, remet en cause la notion d’établissement stable tel
que définie jadis dans les conventions fiscales. Les Etats ont dès lors
ressenti la nécessité de mettre en place des mécanismes permettant de répondre aux
défis posés par la mutation de l’économie mondiale. Ainsi, les pays de l’OCDE
et du G20 ont mis en place des réformes pour répondre efficacement aux nouveaux
impératifs de la fiscalité transfrontalière.
En quoi consistent donc ces réformes ?
Le programme de travail
concernant la réforme sur la résolution des problèmes fiscaux liés à la
numérisation de l’économie a été publié le 31 mai 2019 par l'Organisation de
Coopération et de Développement Economiques (OCDE).
Ce
travail fait suite au projet OCDE / G20 sur l'érosion de la base d'imposition
et le transfert de bénéfices (BEPS) et s'inscrit dans une certaine mesure dans
la continuité de ces travaux. Le programme de travail identifie des options
pour modifier les règles définissant le lieu où les entreprises multinationales
opérant dans le numérique paient les impôts et les politiques qui
instaureraient une taxation minimale mondiale pour les entreprises.
Les
efforts actuels de l’OCDE pour une taxation des activités des secteurs du
numérique sont déployés au sein du cadre inclusif BEPS[1]
regroupant 140 pays qui s’emploient à mettre en œuvre des modifications des
règles fiscales internationales.
Il
se dégage donc clairement deux piliers sur lesquels un accord devra être trouvé
à savoir :
o
le Pilier 1 qui attribut l’imposition d’une partie
des bénéfices de la multinationale à la juridiction de marché[2] et
o
le Pilier 2 qui fixe un taux d’imposition
minimum pour toutes les entreprises.
Quelle est l’évolution des travaux sur
la réforme ?
Pour
le pilier 1, il s’agit d’une
redéfinition des règles fiscales internationales afin de permettre
l’attribution d’une partie des droits d’impositions aux juridictions de marché[3]
.
En
effet, le pilier 1 se décline en 3
blocs :
1- Montant
A : attribution d’une partie du
bénéfice résiduel des multinationales aux juridictions de marché pour
imposition.
2- Montant
B : simplification des règles de
prix de transfert pour les activités de distribution et de marketing.
3- Règles
de sécurité juridique sur le montant A.
Les
travaux ont évolué depuis la publication en novembre 2019 du document de
consultation publique avec une approche unifiée au titre du pilier 1 et ont permis aussi au cadre
inclusif de l’OCDE et le G20 d’utiliser le rapport sur les blueprints comme
base pour solliciter les contributions des parties prenantes. Un accord définitif
sur le pilier 1 nécessiterait des
décisions politiques sur un certain nombre de points fondamentaux à
savoir : le champ d’application, la proportion du bénéfice à réattribuer
ainsi que la sécurité juridique en matière fiscale.
En
ce qui concerne le pilier 2 relatif à la
définition d’un taux d’imposition minimum, les discussions n’ont pas abouti
du fait de l’opposition de certaines grandes puissances.
Avec
l’arrivée de l’administration BIDEN en janvier 2021, les Etats Unis ont
reconsidéré leur position avec une proposition d’un taux minimum mondial de 21%. Il faut noter que ce taux est celui
proposé par les pays africains à travers le Forum des administrations fiscales
africaines (ATAF). Il s’agira donc d’expérimenter cette proposition sur les
cents (100) plus grands groupes d’entreprises multinationales y compris les
GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) avant d’envisager son
extrapolation à toutes les entreprises multinationales.
Si
les Etats s’accordent sur le taux minimum d’imposition, Il reviendra à la
juridiction de siège ou la juridiction de marché de l’entreprise d’imposer les
revenus insuffisamment taxé dans une juridiction à un taux équivalent à la
différence entre le taux minimum d’imposition et le taux d’imposition réel. L’objectif du pilier 2 est d’imposer
l’ensemble des revenus au taux minimum d’imposition et se faisant, éliminer
progressivement les paradis fiscaux. Les Etats proposent que les impositions
supplémentaires du différentiel d’imposition soient réparties sur la base du
chiffre d’affaires réalisé juridiction par juridiction. D’autres Etats pendant
ce temps proposent une répartition basée sur une clef à définir par les pays
lors de l’accord.
Par
exemple un groupe d’entreprises multinationales dont le siège est situé dans la
juridiction A est imposé à un taux minimum
mondial de 14% pour l’ensemble de
ses activités mondiales. Ce groupe dispose d’un établissement stable dans la
juridiction B qui y est imposé à un
taux privilégié de 5%. La règle du
taux minimum d’imposition sur la base de la proposition américaine voudrait que
le groupe soit imposé dans la juridiction A
pour le reliquat de 21%-14% soit 7% ou inversement dans la juridiction
de l’établissement stable (B) et que
ledit reliquat soit réparti entre les juridictions. En l’espèce la juridiction B serait lésé quel que soit la clef de
répartition dans la mesure où elle a sous imposé les activités de l’établissement
stable par rapport aux autres juridictions et pire va donc partager l’écart
avec ces dernières.
Cette
situation aura donc comme conséquence l’élimination progressive ou totale des
paradis fiscaux qui constituent un manque à gagner pour les administrations
fiscales du fait de la pratique de l’optimisation fiscale agressive ou de
transfert de bénéfice.
Même
si le taux minimum d’imposition de 21%
n’a pas fait l’unanimité lors des discussions, la première quinzaine du mois de
juin 2021 a permis au G7 de parvenir à un accord « historique » pour faire
payer plus d’impôts aux multinationales à un taux minimum mondial d’imposition
des sociétés d’au moins 15 %.
La
plupart des pays s’activent à s’aligner sur la position du G7, notamment lors
de la prochaine réunion du G20 à la fin du mois de juin et du Cadre inclusif
OCDE/G20 au début du mois de juillet 2021.
Qu’en est-il de l’incidence d’un probable
accord sur les pays en développement ?
L’analyse
du projet d’accord sur l’attribution des droits d’imposition à la juridiction
de marché indépendamment de la présence physique (pilier 1) ne permettraient pas à la plupart des juridictions de
réaliser un gain considérable de recettes fiscales. Cette situation aura pour
conséquence de favoriser relativement les économies à faible revenu et à revenu
intermédiaire dont la majorité des pays africains comparativement aux économies
avancées. Les pays en développement s’en sortent donc gagnants dans la mesure
où plus de la moitié des bénéfices réattribués proviendraient des cents (100)
plus grandes entreprises multinationales qui sont toutes fiscalement domicilié
dans les pays développés.
S’agissant
du pilier 2, pour les militants de
la justice fiscale le taux de 15% préféré
au sorti des dernières discussions est trop bas comparativement au taux minimum
de 21% proposer par les pays en développement pour arrêter la « course vers le
bas ». Selon certains analystes, un taux de 15% verra 60% des
revenus supplémentaires aller aux pays du G7, laissant très peu pour les pays
en développement qui ont le plus besoin de fonds pour la relance post-covid de
leurs économies.
Le
ciblage des grandes multinationales qui enregistrent des niveaux élevés de
rentabilité et qui bénéficient de taux effectifs d’imposition faibles dans le
cadre de la réforme va contribuer à minimiser l’effet global sur les coûts des
investissements dans la plupart des pays en développement.
Il
s’avère indispensable que l’Union Africaine et les Nations Unies fassent
peser de leur poids pour prendre en compte l’intérêt des pays en développement
dans les négociations pour ne pas exposer davantage les économies de ces pays
déjà fragilisées par la pandémie de Coronavirus.
En
attendant, les pays africains devraient donc penser à la relecture de leurs
régimes dérogatoires (code des investissements, code minier, zone franche…)
afin d’éliminer les effets pervers induits par un accord sur le taux minimum
mondial d’imposition. S’il est vrai que les régimes dérogations ont pour
avantages d’attirer les investisseurs, il n’en demeure pas moins vrai que dans
le contexte actuel ces régimes réserveraient le droit d’imposition aux pays
développés qui en tireront le maximum de profit. Voilà pourquoi il est donc
indispensable de penser à renforcer d’autres mesures en dehors de celles
fiscales qui pourraient attirer les investisseurs entre autres : la stabilité
politique, la sécurité juridique et la garantie de la protection des personnes
et des biens.
PLASSI Pawumotom
Inspecteur des Impôts
Spécialiste en prix de transfert
Secrétaire Adjoint chargé des Finances
et de l’Administration du Réseau des Experts Africains de la Fiscalité
Internationale (REAFI)
@gapola
Mail : thierryaffanoukoe@gmail.com
[1] Base
Erosion and Profit Shifting est un projet décliné en 15 actions pour lutter
efficacement contre l’évasion fiscale agressive et le transfert de bénéfice.
[3] Les juridictions
dans lesquelles une partie du chiffre d’affaires est réalisé sans la présence
d’un établissement stable tel que défini dans les modèles de conventions.
Aucun commentaire
Enregistrer un commentaire