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Winnie Byanyima |
L'épidémie de sida en Afrique
occidentale et centrale est une urgence permanente. Les premières avancées obtenues
contre le VIH dans cette région ne se sont pas traduites par les progrès
durables qui ont pu être réalisés dans d'autres parties de l'Afrique
subsaharienne.
L'année dernière, la région a
enregistré 150 000 décès liés au sida et 200 000 personnes ont été nouvellement
infectées par le VIH. Chaque semaine, plus de 1000 adolescentes et jeunes
femmes âgées de 15 à 24 ans sont infectées par le VIH dans la région. En
Afrique occidentale et centrale, 1,2 million de personnes attendent toujours de
pouvoir commencer leur traitement pour le VIH qui leur sauvera la vie. Seuls
35% des enfants vivant avec le VIH en Afrique occidentale et centrale reçoivent
un traitement.
Or la crise de la COVID-19 a
entravé les services et exacerbé les inégalités qui alimentent l'épidémie de
VIH. Si nous n'agissons pas maintenant, non seulement de nombreuses autres vies
seront perdues, mais contenir la pandémie de sida sera d’autant plus difficile
et coûteux dans les années à venir.
Mettre fin au sida est possible
: il existe un ensemble d'approches qui ont prouvé leur efficacité, y compris
dans des contextes difficiles.
Qu’il s’agisse du leadership
du Cap Vert en matière d'élimination de la transmission verticale du VIH, ou de
la décision du Cameroun, l'année dernière, de supprimer les frais d'utilisation
pour tous les services liés au VIH dans les établissements de santé publique et
les sites communautaires agréés, de nombreux exemples qui montrent la voie existent
déjà. En alignant les politiques publiques sur celles qui ont fait leurs preuves,
nous pouvons mettre fin au sida comme nous l'avons promis.
Les pays et les communautés
tirent déjà parti de l'expérience et de l'expertise de la réponse au sida pour
réduire l'impact de la COVID-19 dans toute la région. De la Côte d'Ivoire à la
Guinée en passant par le Sénégal, les autorités de santé publique, les
organisations internationales, les acteurs de la société civile et les
communautés de personnes vivant avec et affectées par le VIH ont travaillé
ensemble pour s'assurer que les personnes vivant avec le VIH continuent de
recevoir leurs médicaments. Elles se sont afférées à fournir des services de
soins et de prévention de manière sûre et innovante, à livrer de la nourriture
aux personnes qui avaient perdu leurs revenus en raison des confinements, à transmettre
des messages sur l'importance de l'hygiène et de la distanciation sociale pour
rester en bonne santé, et à dissiper les mythes qui alimentent la
stigmatisation et la discrimination et affaiblissent les messages de santé
publique.
Cet esprit de coopération et
de partenariat est essentiel pour renforcer les réponses aux pandémies.
Cette semaine, sous l’égide du
Président du Sénégal, Macky Sall, l'ONUSIDA et l'Institut de la société civile
pour le VIH et la santé en Afrique occidentale et centrale organisent un sommet
à Dakar, sur les manières de combler les lacunes de la riposte au VIH dans la
région et renforcer la préparation aux pandémies.
Voici trois des mesures
audacieuses que nous devons prendre.
Premièrement, valoriser et soutenir les communautés pour qu’elles soient au centre de
la planification et des services.
Les communautés connaissent la
situation sur le terrain - il faut leur donner les ressources et l'espace
nécessaires pour mener la riposte. Les pays doivent mettre en place un
environnement propice à la pleine participation des communautés à la fourniture
de services en tant que partie intégrante de la réponse de santé publique.
Elles doivent être invitées à la table des discussions en tant que co-planificateurs.
Ainsi elles pourront mettre en avant leurs expériences et préoccupations, et
jouer leur rôle essentiel dans l’évaluation de la performance des réponses de
santé.
Les pays doivent lever les
obstacles juridiques, politiques et programmatiques qui freinent cette
évolution, et augmenter leur soutien financier pour enfin permettre la
contribution incomparable des communautés.
Deuxièmement, augmenter les investissements.
Les pays doivent accroître
l’ampleur des prestations en matière de prévention, de dépistage et de
traitement, et éliminer tous les obstacles financiers afin de garantir un accès
universel aux services.
L'engagement d'Abuja
d'investir 15% des budgets gouvernementaux dans la santé publique doit être
respecté. Les engagements conjoints pris par les ministres de la santé et des
finances lors de la Réunion des Dirigeants Africains d'augmenter les recettes
nationales consacrées à la santé doivent être tenus.
Les bailleurs de fonds
internationaux doivent eux aussi intensifier leur soutien, alors que nous
traversons la pire crise depuis des décennies. Pour créer l'espace budgétaire nécessaire,
il faudra annuler la dette afin de soutenir les gouvernements à accroître les
investissements pour la santé et à s’attaquer aux déterminants sociaux qui
aggravent les risques du VIH et de pandémie.
Une action internationale
visant à prévenir une concurrence fiscale nuisible et les flux financiers
illicites est également essentielle. Il est difficile d'avancer vers une
fiscalité équitable et progressive, et d'augmenter les revenus nationaux,
lorsque les grandes entreprises et les particuliers fortunés ont
systématiquement la possibilité, au niveau international, d'échapper aux impôts
que le citoyen ordinaire doit payer, et qui sont essentiels pour la santé,
l'éducation, la protection sociale et l'investissement économique.
Troisièmement, s'attaquer aux inégalités qui alimentent l'épidémie.
La COVID-19 a une fois de plus
montré au monde comment les épidémies se nourrissent des inégalités, tant entre
les pays qu’au sein même de ceux-ci. La nouvelle stratégie de l'ONUSIDA adoptée
plus tôt cette année place la lutte contre les inégalités au centre de sa
mission visant à mettre fin au sida.
Les inégalités sont le moteur
du VIH. Les groupes de personnes vulnérables représentent 44% des nouvelles
infections au VIH en Afrique occidentale et centrale. Leurs partenaires
représentent 27% supplémentaires.
La stratégie de la CEDEAO pour
le VIH, la tuberculose, les hépatites B et C et la santé et les droits sexuels
et reproductifs des populations clés le dit si bien :
« La protection des
droits de l'homme pour tous les membres de chaque population clé est cruciale
pour le succès. Les lois discriminatoires ou créant des obstacles doivent être
réformées, afin de garantir que les populations clés soient exemptes de
stigmatisation, de discrimination et de violence et que leur vulnérabilité au
VIH soit réduite. »
L’inégalité entre les genres
est également un moteur du VIH : parmi les nouvelles infections au VIH chez les
jeunes en Afrique du centre et de l’ouest, près des trois quarts concernent des
adolescentes et des jeunes femmes. L'enjeu est le pouvoir—ou plutôt l’absence
de pouvoir de celles-ci.
Les recherches montrent que le
fait de permettre aux filles de terminer leurs études secondaires divise de
moitié leur risque de contracter le VIH, et le fait de combiner cela avec un
ensemble de services et de droits pour l'autonomisation des filles le réduit encore
davantage.
L'initiative Education Plus,
coorganisée par l’UNICEF, l’UNESCO, le FNUAP, l’ONU Femmes et l’ONUSIDA, avec
des gouvernements, la société civile et des partenaires internationaux,
contribue à accélérer les actions et les investissements nécessaires pour que
chaque fille africaine soit scolarisée, en sécurité et forte.
Ce que nous devons faire pour
mettre fin au sida est aussi ce que nous devons faire pour permettre le plein
essor de l'Afrique.
Les gouvernements, les organisations internationales, les scientifiques, les chercheurs, les organisations dirigées par les communautés et les acteurs de la société civile ne peuvent pas réussir seuls ; mais ensemble, ils peuvent créer un partenariat imbattable et une force imparable pour mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d'ici 2030.
Winnie Byanyima, Directrice
Exécutive de l’ONUSIDA
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