Ghislain Koffi Dodji Nyaku |
Le Togo a passé le 24 janvier 2022, son Examen Périodique Universel (EPU) à Genève en Suisse, sur la situation des droits de l’homme. Dans cet entretien, Ghislain Koffi Dodji Nyaku, directeur exécutif du Collectif des Associations Contre l’Impunité (CACIT), revient sur la contribution de la société civile, le passage du Togo devant les Nations Unies et donne ses appréciations sur le déroulement de l’évènement. Lisez plutôt!
Gapola : Le Togo vient de passer l’examen périodique
universel, en quoi consiste cet examen ?
Ghislain Nyaku: L’Examen Périodique
Universel (EPU) est un mécanisme unique du Conseil des droits de l’homme ayant
pour but d’améliorer la situation des droits de l’homme dans chacun
des 193 États membres des Nations Unies. C’est un mécanisme d’évaluation
entre les pairs, c’est-à-dire entre les États. La société civile, les
institutions nationales des droits de l’Homme comme la CNDH pour le Togo, les
organisations internationales et autres parties prenantes participent également
au processus par la soumission des rapports alternatifs assortis de
recommandations. Le Togo, participe pour la troisième fois à cet examen, après
l’échéance de 2011 et celle de 2016.
Quelle a été votre contribution, en tant que société
civile, pour la réussite de cet examen?
Avec
la collaboration de UPR Info, une organisation basée à Genève, la société
civile togolaise s’est fortement mobilisée pour la réussite de cet examen. Dans
un premier temps, une consultation nationale a été organisée du 28 au 30 avril
2021 à Lomé. Elle a regroupé 55 organisations de la société civile et médias.
Au cours de cette consultation, six (6) groupes thématiques ont été mis en
place, à savoir: Droits civils et politiques; Droits économiques sociaux et
culturels; droits des Enfants; droits des Femmes; Droits des groupes
Vulnérables; Droit des défenseurs des droits de l’Homme. Un autre groupe de
travail a permis d’avoir un autre rapport thématique intitulé
« Corruption, entreprises et droits de l’Homme ». Ainsi, le CACIT a
coordonné l’élaboration de 07 rapports thématiques, 01 rapport principal ainsi
qu’une matrice d’évaluation des recommandations de 2016.
Il
faut souligner qu’au moment de la validation des rapports en juillet 2021, les
acteurs étatiques, certains services publics et institutions nationales
notamment la CNDH ont été associées. C’est dire que le processus a été
participatif et inclusif en vue d’avoir des informations objectives, crédibles
et actualisées. Naturellement, à la fin de ce processus, il revenait à la
société civile de faire ses propres recommandations.
Après
la soumission des rapports, la CNDH, le CACIT et UPR Info ont organisé en novembre
2021 une pré-session à Lomé avec les missions diplomatiques et les acteurs de
la société civile. Le but était de mener des plaidoyers auprès de ces
diplomates, en vue de faire des recommandations pertinentes au Togo. Ensuite,
une rencontre d’informations sur l’EPU a été organisée à l’endroit des
parlementaires. Enfin une autre pré-session a été organisée par les collègues
de UPR Info en ligne depuis Genève.
Quelle est votre appréciation du déroulement du passage
du gouvernement togolais à l’EPU ?
Lors
de l’examen, nous avons suivi avec intérêt les différentes interventions
notamment celles de la délégation togolaise et des États examinateurs. Nous
saluons le fait que la question des libertés fondamentales notamment la liberté
de manifestation et de réunion, la liberté d’expression, la situation des
défenseurs fassent partie intégrante du dialogue. Les États examinateurs ont
aussi relevé les défis liés à l’impunité, aux conditions de détention, à la
torture et mauvais traitements, aux personnes détenues en lien avec la
situation socio-politiques, à l’indépendance de la justice, à la corruption, à
la santé, au niveau de vie des populations, à l’égalité homme-femme ainsi que
les groupes vulnérables et marginalisés, etc. C’est la preuve que la plupart des
préoccupations contenues dans nos rapports ont été prises en compte. Il est
également important de noter les efforts reconnus par les États examinateurs au
niveau social, la protection du droit de la femme, la scolarisation de la jeune
fille, le travail des enfants, la gratuité de l’enregistrement des naissances
et autres. Quand on sait que 89 États se sont prononcés pendant l’examen, l’on
peut reconnaitre et saluer le travail remarquable fait par la société civile en
matière de plaidoyer pour permettre à l’État togolais d’avoir un dialogue
constructif avec ces pairs.
Toutefois,
nous déplorons, qu’au cours de ce dialogue, la délégation togolaise n’ait pas
donné des réponses concrètes sur des situations connues de tous les citoyens.
Par exemple, sur la question de l’impunité, l’État aurait pu reconnaitre que de
réels défis sont à relever dans ce domaine. En effet, en ce qui concerne le
CACIT, pour la période de 2012 à 2019, 32 plaintes pour allégations de
violations des droits de l’Homme et des actes de torture et mauvais traitements
ont été déposées devant les juridictions nationales À ce jour, aucune de ces
plaintes n’a été instruite, ceci malgré la transmission des copies de décharge
aux autorités compétentes au lendemain du passage du Togo devant le comité
contre la torture. En outre, des recours hiérarchiques, notamment pour des cas
de mineurs, ont été introduits et des dialogues ont été menés avec les
autorités sur ces sujets en vue de situer les responsabilités. En juillet 2021,
la cour de justice de la CEDEAO a rendu 02 décisions de condamnation de l’État
togolais pour torture et mauvais traitements. Le CACIT a été soutenu dans ces
démarches par l’Organisation mondiale Contre la Torture (OMCT). Le cas d’une
dame qui a subi des actes de torture et mauvais traitements lors des
manifestations de l’opposition en 2017 est désormais un secret de polichinelle.
Il faut aussi relever que l’État n’a pas été assez clair sur les défis liés à
l’amélioration des conditions de détention, qui demeurent assez préoccupantes.
Il
faut aussi rappeler que dans le cadre de la gestion de la pandémie liée au
Covid-19, de graves violations des droits de l’Homme ont été constatés avec des
décès, des allégations sérieuses de tortures et mauvais traitements. En son
temps, plusieurs organisations dont le CACIT avaient interpellé les plus hautes
autorités pour prendre les mesures idoines en vue de prévenir les violations.
Le ministre de la sécurité avait fait une intervention en ce sens et le chef de
l’État a su prendre la décision de changer le commandement de la force mixte
anti-Covid, FOSAP. Face à cette situation, des plaintes avaient encore
déposées. C’est donc étonnant de constater que la délégation togolaise n’ait
pas relevé ce qui était déjà connu du domaine public.
Mais,
en tout état de cause, le dialogue a été assez diplomatique et les États
examinateurs ont su relever les défis liés à la situation des droits de l’Homme
voire au développement humain dans son ensemble au Togo.
Quelle
lecture le CACIT fait des recommandations faites au Togo par les États ?
Pour
l’heure, nous comptons 224 recommandations faites à l’État togolais contre 195
lors de son précédent passage en 2016. Cette augmentation démontre qu’il y a un
réel intérêt des États pairs pour l’amélioration de la situation des droits de
l’Homme au Togo.
Les
recommandations ont été faites à la lumière des défis relevés par les États
pairs notamment les libertés fondamentales comme la liberté de
manifestation et de réunion, la liberté d’expression, la situation des défenseurs,
l’impunité, les conditions de détention, la torture et mauvais traitements, les
personnes détenues en lien avec la situation socio-politiques, l’indépendance
de la justice, l’aboutissement des enquêtes ouvertes, la corruption, la santé,
le niveau de vie des populations, l’égalité homme-femme ainsi que les groupes
vulnérables et marginalisés (les personnes handicapées, les LGBT, etc.).
Naturellement, il revient à l’État togolais d’accepter les recommandations
pertinentes de manière objective. L’État a aussi la possibilité de noter
certaines recommandations, c’est-à-dire de ne pas les accepter. Notre
plaidoyer, c’est que l’État accepte le maximum de recommandations.
Nous
aurions souhaité que les États accentuent leurs interventions en faisant des recommandations
beaucoup plus soutenues sur la question de l’impunité, des personnes détenues
en lien avec la situation politique, la mise en œuvre des recommandations et
avis des mécanismes de protection des droits de l’Homme relativement à la
libération de certains détenus ou à la révision de la loi sur les
manifestations publiques et pacifiques, des enquêtes sur les cas d’allégation
de torture et de mauvais traitements ainsi que des actes de corruption. Il est
vrai que l’EPU est un mécanisme à forte connotation diplomatique, mais ces
sujets qui ne sont pas assez pris en compte sont incontournables pour
l’amélioration de la situation des droits de l’Homme.
Quel
est le rôle de la société civile avant et après l’adoption des recommandations
finales à l’EPU ?
L’État
togolais a reçu les recommandations provisoires formulées et compte répondre d’ici
avril 2022, en tout cas avant la prochaine session du conseil des droits de
l’Homme qui aura lieu entre juin et juillet 2022. Pendant ce temps, nous
continuons les plaidoyers pour que l’État accepte le maximum des
recommandations. Ces plaidoyers seront dirigés non seulement à l’endroit des
gouvernants, mais aussi à l’endroit des différentes chancelleries au Togo et en
dehors du pays.
Après
l’adoption des recommandations finales, la société civile continuera son
plaidoyer par une mobilisation des acteurs précités pour leur mise en œuvre en
commençant par leur appropriation et leur vulgarisation en collaboration avec
les médias. Consciente que c’est à l’Etat de mettre, avant tout en œuvre les
recommandations, la société civile assurera le suivi de la mise en œuvre par un
monitoring et un rapportage objectif et inclusif des différents acteurs
étatiques et non étatiques. Elle s’impliquera aussi sur le terrain dans la mise
en œuvre des recommandations pour accompagner l’État. En effet, la société
civile joue ce rôle au quotidien à travers la réalisation des différents
projets de développement socio-économiques.
Votre
mot de fin
Nous
saluons la disponibilité de l’État togolais à collaborer avec les mécanismes
internationaux de protection des droits de l’Homme et son ouverture envers la
société civile dans un dialogue permanent et constructif pour l’édification de
l’État de droit et la consolidation du respect des droits de l’Homme au Togo.
Nous remercions nos collègues de la société civile et les médias pour leur
engagement et souhaitons le renforcement de notre collaboration en vue de
relever ensemble les défis liés au respect des droits de l’Homme au Togo.
Enfin, nous souhaitons que les institutions internationales et les missions
diplomatiques accompagnent le gouvernement togolais ainsi que la société civile
dans leurs efforts conjoints pour la mise en œuvre des recommandations
adressées au Togo par les mécanismes de protection des droits de l’Homme.
Intervieuw
réalisée par la Rédaction
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